Sortir : Pourquoi avoir choisi ce texte, de raconter cette histoire ?
Bruno Lajara :
La qualité de la pièce m'a plu, le texte m'a parlé. Comment un auteur s'empare d'un fait divers réel pour l'amener au théâtre. Shakespeare, Brecht, se sont souvent saisis de drames historiques. Ce qui était d'autant plus intéressant est qu'il s'agit d'un fait divers d'il y a dix ans. À l'intérieur, la liberté de porter un regard d'auteur sur ces éléments. Nous sommes à la fois dans la fiction et l'analyse géo-politique de ces événements.

Sortir : Un drame certainement encore présent dans l'esprit des spectateurs...
B. Lajara :
Aujourd'hui, avec les chaînes d'information, un drame de ce type, on le suit heure par heure. On a encore les images dans la tête... d'autant plus fortes que cela se passe dans un théâtre, comme celui dans lequel se trouve le spectateur.

Sortir : Est-ce que cela a été facile de s'emparer d'un sujet, la répression des Tchétchènes par l'État russe, encore tabou aujourd'hui ?
B. Lajara :
Ce texte analyse les causes de la prise d'otages, de la violence, et la situation en Tchétchénie, avec une politique colonialiste des Russes dans cette région du monde. Chaque mois, il s'y passe des choses, rien est réglé. Plus de 100 000 morts, des villages entiers rasés, l'éradication d'une population : on n'en parle pas. On n'embête pas trop les Russes, et ils siègent à l'ONU... Tandis que la misère et la détresse grandissent dans cette partie du monde.

Sortir : On est là dans le rôle du théâtre de lutter contre la propagande ?
B. Lajara :
Le rôle du théâtre que j'ai envie de défendre est d'informer. Même si on reste dans la logique du divertissement, auscultant tous les genres théâtraux, avec des scènes très comiques. À la fois des choses assez violentes, et des moments burlesques : le théâtre reste à sa place, avec des sujets forts, un divertissement pas forcément léger, sans se placer en donneurs de leçons. Les moments de respiration, de rire, sont bénéfiques aux spectateurs.

Sortir : Comment avez-vous mêlé les genres théâtraux ?
B. Lajara :
Lors de cette prise d'otages, on jouait dans le théâtre la première comédie musicale de type Broadway à Mouscou, qui rencontrait un franc succès. On commence donc en comédie musicale, avec tous les codes : nous avons travaillé avec un chorégraphe, un compositeur... Cela déstabilise le spectateur ! (Et l'amuse beaucoup – NDLR) On est à Bercy lorsque commence le spectacle ! Du théâtre dans le théâtre. Une critique, aussi, de la soupe artistique que l'on nous sert. « Quand le théâtre oublie le monde, le monde se rappelle au théâtre », une très belle phrase de cette pièce très dense, emplie de poupées russes. Le rythme est soutenu, les neuf comédiens interprètent vingt-cinq personnages.

Sortir : Justement, comment avez-vous travaillé avec vos comédiens, qui jonglent merveilleusement avec les personnages ?
B. Lajara :
Oui, on passait la moitié des répétitions à faire des chorégraphies, l'autre moitié à aller dans la violence ! Un côté combat pour les acteurs, un travail assez physique, 1h45 à fonds les manettes. Nous avons commencé en septembre, avec alternance, une semaine de travail, un mois de pause, pour prendre le temps. Avec une création globale, de l'espace, de la musique, des costumes... Nous jouons des personnages qui ont existé, ce drame a fait plus d'une centaine de morts, les trente-cinq preneurs d'otages et cent vingt-cinq spectateurs. Se dire qu'on va arrêter une guerre en prenant un théâtre en otage est une revendication perdue d'avance. Seules deux personnes ont été tuées par les preneurs d'otages, le reste, par le gaz envoyé dans le théâtre par les Russes. Nous nous devons d'être appliqués, ces gens sont réellement morts. L'assaut est très violent, on diffuse des images réelles. Le réel entre peu à peu dans le spectacle...

Sortir : Quels sont les retours des spectateurs ?
B. Lajara :
Ils sortent groggy. Ils se marrent, mais affrontent aussi des images difficiles. Une phrase d'Anna Politkovskaïa clôt le spectacle. Les gens ont du mal à applaudir, même pour les comédiens, c'est difficile de saluer...