20 ans de décentralisation lyrique en Nord-Pas de Calais

Sortir : Sur quel postulat de départ avez-vous fondé il y a 20 ans, la Clef des Chants ?

Patrick Bève : Sur une initiative régionale. La Clef des Chants, créé en 1996, ex-nihilo, se voyait confier la triple mission de démocratisation, diffusion-décentralisation et d’action culturelle en faveur de l’Art lyrique sur les départements du Nord et du Pas-de-Calais, et ce sur la base du « nomadisme », c’est-à-dire dépourvu de lieu de résidence pérenne ; l’idée forte étant d’opérer un maillage le plus large possible du territoire régional dédié spécifiquement au lyrique.

Sortir : Quelles évolutions du paysage lyrique régional avez-vous constaté en 20 ans ?

P. Bève : La réouverture de l’Opéra de Lille, la pérennité de l’Atelier lyrique de Tourcoing, et comme de petites lumières sur l’ensemble du territoire, grâce à notre action et celles de jeunes compagnies, le développement d’une vie lyrique «buissonnière» populaire sur l’ensemble du territoire.

Sortir : Et si vous deviez faire un bilan de ces 20 dernières années au service d’une politique de décentralisation lyrique ?

P. Bève : Nous cueillons aujourd’hui les fruits de 20 ans de travail de développement et d’action culturelle intense qui se traduisent par la fidélisation des partenaires (collectivités et lieux de diffusion), la multiplication par 5 des représentations (20 par saison à nos débuts pour arriver aujourd’hui à une centaine…) ; l’ouverture  progressive vers le jeune public ; des actions de médiation et de sensibilisation en grand nombre ; des projets participatifs de territoires associant des acteurs locaux et surtout un panel de propositions artistiques des plus éclectiques, n’excluant aucun genre, choisis dans un souci constant de qualité et de rencontre en direction des publics les plus larges et éloignés de ce type d’offre.

Sortir : La devise de la Clef des Chants ?

P. Bève : Vous n’allez pas à l’opéra ? Il vient à vous.

Sortir : Quels sont les freins qui empêchent encore le public de découvrir l’opéra ?

P. Bève : Une pudeur, un « à priori » qui consiste à penser et dire « ce n’est pas pour nous » et à cet égard il faut bien reconnaître que la sanctuarisation et conditions d’accès de certaines Maison d’Opéra y ont largement contribué. A nous de créer les conditions pour que le lyrique retrouve sa vocation populaire en allant notamment à la rencontre des publics là où ils se trouvent, de susciter sans démagogie, ni élitisme, la jubilation propre à cet art, source d’émotion auxquelles chacun doit avoir accès.

Sortir : A propos de répertoire, quel est celui que vous avez privilégié et qui est le plus adapté aux contraintes de votre cahier des charges ?

P. Bève : Notre cahier des charges, qui vise à être présent partout sur les territoires, nous a naturellement conduit vers des formes scénographiquement « légères » avec la volonté de n’exclure aucun genre, du baroque au contemporain en passant par le théâtre musical et l’opéra de rue, adaptables à toutes configurations techniques y compris les plus précaires. Ici réside le vrai travail de décentralisation : du « lyrique de tréteaux » !

Sortir : Vous vous attachez depuis le début à défendre la création, pourquoi ?

P. Bève : Parce que sans création l’art se meurt, tout simplement. 70 % des projets de la Clef des Chants sont effectivement des créations ou de nouvelles productions. 3 raisons à cela : maintenir le « répertoire » vivant grâce à la réinterprétation d’artistes contemporains en phase avec notre époque. Oser bousculer l’art lyrique afin de le confronter à de nouveaux domaines d’investigation et à de nouveaux publics. D’un point de vue plus pragmatique, créer nos propres spectacles nous permet de maitriser les contraintes techniques et financières de nos productions pour pouvoir proposer des formes adaptées aux diverses structures d’accueil de notre région. En outre, ces temps de création sont indispensables à l’action culturelle et pédagogique que mène la Clef des Chants depuis ses débuts car ils offrent des moments privilégiés de rencontre entre les publics et les artistes in situ.

Sortir : Vous avez fait aussi des expériences inattendues, telles l’opéra dans la rue en 2004, vous aimez surprendre ?

P. Bève : Oui, nous aimons créer la surprise mais en y donnant du sens : celui de la rencontre, du partage et de la découverte. Nos champs d’intervention sont multiple : espace urbain, usines, tramway, cafés...mais aussi crèches, maison de retraite, centres pénitenciers … Notre dernière belle surprise sur les territoires, en partenariat avec le Département du Pas-de-Calais, réside dans l’Opéra bus en lien avec Harmonia Sacra qui sillonne villes et villages avec à son bord des opéras « miniatures » qui, à l’évidence, créent le « déclic » et l’envie d’en savoir plus sur l’art lyrique… on en demande et redemande !

Sortir : La Clef des Chants développe par ailleurs une forte politique de partenariats et de sensibilisation ?

P. Bève : En effet, notre nomadisme « volontaire » fait du partenariat la base même de notre action, tant en matière de recherche de lieux pour nos résidences de création, qu’en matière de diffusion de spectacles ou dans la mise en place de notre programme d’actions culturelles qui s’est considérablement développée au fil des années ; des actions de sensibilisation et de médiation avec les écoles, collèges, lycées, conservatoires, centres sociaux aux projets sur le long terme, où les élèves deviennent acteurs d’un processus de création et d’interprétation… que de chemin parcouru …

Sortir : Quels sont les chantiers à venir pour les 20 prochaines années de la Clef des Chants ?

P. Bève : La priorité va naturellement à la nouvelle configuration géopolitique de la Région des Hauts-de-France. L’outil Clef des Chants, imaginé et conçu pour la décentralisation, aujourd’hui reconnu pour son professionnalisme et son expertise, est sans nul doute  tout à fait adapté pour mener à bien ce nouveau chantier culturel. C’est en tout cas avec enthousiasme que nous l’abordons. Sur un plan purement artistique nous souhaitons poursuivre notre volet découverte en direction du « musical ».

Sortir : Comment avez-vous conçu cette saison anniversaire ?

P. Bève : Comme tout anniversaire, de manière festive. Au cœur d’une saison riche, composée de 7 productions, parmi lesquelles 4 créations (L’Opéra de quat’ sous, Dédé, Crise de Voix, Carmen Cuisine) nous fêterons nos 20 ans avec un spectacle lyrico-burlesque dont l’écriture et la mise en scène sont confiées à Gilles Defacque, maître du genre, que mettront en lumière trois artistes régionaux : Stéphanie Petit, Vincent Vantyghem et William Schotte ; un moment, pas sérieux du tout, d’émotion et de dérision.